Les relations interpersonnelles à l’épreuve du coronavirus

Avec les élèves de 2nde et de Terminale bac professionnel Service aux personnes et au territoire du lycée agricole Beauregard à Villefranche de Rouergue (12)

Un projet ambitieux, réalisé avec trois artistes professionnels

Ce projet artistique en prise directe avec l’actualité, et en lien avec la filière Services, a pu se concrétiser grâce à l’accompagnement de trois artistes plasticiens professionnels renommés, Célie Falières, Mazaccio et Drowilal, tous trois installés à Villefranche de Rouergue.

 

Il s’agissait de faire aboutir un projet avec la créativité et l’exigence des artistes, une chance pour les élèves qui l’ont bien compris !

 

Nous avons également travaillé avec l’Atelier Blanc, espace d’art contemporain à Villefranche de Rouergue, partenaire « historique » et oh combien précieux du lycée Beauregard.

Un sujet brûlant

(c) Célie Falières, Mazaccio&Drowilal

Le sujet pour réaliser ce projet artistique est fortement lié à l’actualité : la crise sanitaire, et les conséquences qu’elle entraîne sur nos relations interpersonnelles.

 

La crise sanitaire liée au coronavirus aura changé nos repères, avec l’adoption des gestes barrière que sont la distanciation physique et le port du masque. Ces deux aspects suffisent à modifier notre relation à l’autre.

 

La distanciation physique, même expliquée, crée un espace vide entre les personnes et empêche ou contrarie cette relation de proximité affective qui existait auparavant.

 

Le masque lui-même, devenu un accessoire indispensable, occulte la moitié de notre visage. Toute une partie de notre expression non verbale s’en trouve diminuée et le sourire se cache derrière le tissu. Moitié de visage, vision inquiétante et froide de l’autre.

 

Ce qui était une relation humaine, ancrée dans nos codes culturels, se transforme soudainement en relation déshumanisée ou qui prend le risque de l’être et qui ne peut que générer des réactions d’incompréhension, voire des angoisses, un risque de repli, en cette période de stress collectif où, paradoxalement, les liens sociaux devraient être encore plus importants pour tenir le cap.

 

Le projet s’appuie sur ce sujet brûlant, parce qu’il est important de ne pas l’occulter.

Il touche les élèves, eux-mêmes à un âge plein d’incertitudes et en construction. Il touche encore plus les élèves de la filière Services aux Personnes, pour qui les relations interpersonnelles sont au cœur de leurs apprentissages et de leurs pratiques.

Des objectifs pluriels

Si l’aboutissement visible de ce travail est la présentation d’une performance au lycée, les objectifs pédagogiques sont pluriels, avec une visée d’ouverture culturelle.

Parallèlement, ce projet participe à la poursuite d’objectifs transversaux, d’ordre méthodologique et éducatif ; la conduite de projet et le travail en équipe ne sont pas les moindres de ces objectifs,  et sont une belle opportunité pour préparer les élèves à la vie professionnelle.

Un travail préliminaire avant de se lancer..

L’artiste a cette capacité à prendre du recul et à nous questionner sur des sujets de société. C’est ce qu’ont fait les trois artistes, à partir des réflexions des élèves, pour les mettre en situation de création.

 

Mais revenons en arrière : avant même de rencontrer les artistes, les élèves ont cherché, questionné leur entourage, débattu sur ce sujet pour en savoir plus.

 

La médiatrice de l’Atelier Blanc les a rencontrés aussi pour présenter ce que sont les performances dans l’art contemporain.

 

Puis est venu le temps de la création : une semaine entière, en février, dédiée au projet !

Un condensé de cogitations intellectuelles et de travail pratique.

Une création artistique originale : Pandemia-19, un jeu de plateau

La conception et la fabrication de costumes avec scotch et carton a servi de base à une sorte de jeu de plateau à taille humaine, intitulé Pandemia-19 avec des personnages typés :

(c) Célie Falières, Mazaccio&Drowilal

  •  les soignants (seringues),
  • les personnes à risque (radiateurs),
  • les cas positifs (casques à écailles),
  • les cas contact (en tutu),
  • les méfiants (collerettes),
  • les victimes (fantômes).

 

Le tout orchestré par deux arbitres munis de leur képi et des lanceurs de dés.

Les règles du jeu

Durant la performance, tout ce petit monde se déplace sur des cases suivant les actions dictées par les dés :

 

  • confinement (regroupement par famille),
  • déconfinement (déplacement d’une case dans n’importe quelle direction),
  • cluster (regroupement dans un angle du plateau),
  • gestes barrière (étendre les bras autour de soi),
  • retour à la norme (déplacement sur une croix),
  • allocution (tour complet sur soi-même en agitant les mains).

(c) Célie Falières, Mazaccio&Drowilal

Les règles générales de la menée du jeu

  • Ÿ silence pendant le jeu (sauf arbitres et lanceurs de dés)
  • Ÿ jamais plus d’un élève par case
  • Ÿ le cluster concerne tout le monde
  • Ÿ à chaque fois que les soignants sont concernés par les dés,  ils sont applaudis par le public  (quelques élèves assis sur le côté)

Symbolique des costumes, symbolique du jeu

(c) Célie Falières, Mazaccio&Drowilal

Sont mis en présence : des familles ou catégories, une règle, des actions déterminées par la règle, des personnages anonymes, qui peuvent être chacun-e d’entre nous.

 

Assister à la performance fait réfléchir..

On y voit des personnages résignés – dociles, sceptiques, graves, las, soumis – qui se plient à des règles changeantes au gré de l’évolution de la pandémie.

La part du relationnel est réduite dans le jeu, la crainte d’être contaminé nous éloignant les uns des autres.

 

Les règles et les actions se succèdent, sans savoir quand et comment elles pourraient s’assouplir, s’arrêter. Cette suite de règles donne une impression de gesticulations des personnages, de retranchement vers l’individualisme. Les relations entre les personnages sont gommées, négligées ; l’individu se recentre sur lui-même.

 

Et une fin qui n’en est pas une ! Incertaine, indéfinie, mais à l’heure où la création a été présentée (début mars), comment pouvait-il en être autrement ? Incertitude de l’avenir, nostalgie de l’insouciance perdue.

…sur le « monde d’après »

C’est un message sans doute peu optimiste mais qui est surtout destiné à nous faire prendre conscience de ce que nous risquons de devenir si nous n’y prenons pas garde.

 

Dans ce que certains nomment « le monde d’après », fait d’incertitudes mais aussi riche d’espoirs et de renouveau, il nous appartient de prendre conscience de la valeur des liens que nous entretenons ensemble pour tenter de les redéfinir sans rien négliger.

Jouer c’est ressentir..

Les élèves jouant un rôle dans le jeu se sont surpris – pour quelques-uns d’entre eux – à se « sentir » dans la peau du personnage qu’ils incarnaient ; ils ont alors pris conscience avec d’autant plus d’acuité, de l’intérieur en quelque sorte, des enjeux qui ressortent et de la symbolique forte de cette performance.

 

Crise sanitaire oblige, la restitution en forme de performance artistique, ne s’est pas faite sur le territoire en direction des Villefranchois, mais dans l’établissement.

 

Comme toutes performances artistiques, créations éphémères, il reste les images, qui témoignent de la création.

(c) Célie Falières, Mazaccio&Drowilal

Quelques paroles d’élèves

« Ce genre de projet culturel et artistique nous fait sortir de notre zone de confort. Il nous apporte de la réflexion et nous recentre autour d’un sujet d’actualité fort, la crise sanitaire que nous vivons tous les jours … Cela nous permet de tout mettre en situation au travers d’une performance artistique ».

 

« Ce projet a été une belle expérience de bouillonnement d’un groupe, avec deux classes, autour d’un travail artistique ; une opportunité pour nous préparer à la vie professionnelle ! »

 

« Cogiter ainsi avec des artistes, sur ce thème, ça a été un moment fort. Un de ces moments dont on se rappellera quand on se souviendra de nos années lycées ! »

 

« Je ne pensais pas que l’art permettait cette panoplie de possibilités pour témoigner et dire notre pensée. Le côté symbolique de la performance m’a touché, et en plus, c’était beau. »

 

« Au début je ne voyais pas trop où on voulait en venir mais je faisais confiance aux artistes ; en milieu de semaine, tout s’est éclairci dans ma tête ! Plus j’y pense et plus je me dis que cette expérience collective était unique … tout comme notre performance, comme nous l’ont dit les artistes. »

 

« Ca m’a fait penser que les liens numériques ne remplaceront jamais les liens physiques dans nos relations. »

 

« Avec un peu de recul, je me rends compte à quel point ce sujet nous touche. Personnellement je suis à fleur de peau et j’ai peur de perdre de vue mes amis, ma famille, à cause du confinement, de la distanciation, ou de la maladie.

Cette semaine avec la performance finale, a été à la fois gaie et pesante, elle m’aura permis d’en parler et de partager sans les mots, ce que j’endure – j’étais dans le costume d’un cas positif. Ca m’a fait du bien et l’art est un moyen extraordinaire pour partager. »


En savoir +

Célie Falières, artiste plasticienne : http://celie-falieres.com/

Mazaccio et Drawilal : http://www.welivehere.eu/index.php

L’atelier Blanc, Espace d’art contemporain,  Villefranche de Rouergue : https://www.atelier-blanc.org/

 

 

Partenaires et soutiens financiers

DRAC et DRAAF Occitanie, le Conseil Régional Occitanie (dispositif « Occit’avenir »),

le lycée Beauregard de Villefranche de Rouergue.

 

 

+ d’infos

Jean-Louis Benoît, enseignant en Education Socioculturelle, Lycée agricole de Villefranche-de-Rouergue, jean-louis.benoit@educagri.fr

Stéphane Girou, enseignant en Education Socioculturelle, Lycée agricole de Villefranche-de-Rouergue, stephane.girou@educagri.fr