Marine Giacomi, entretien avec une artiste en résidence

Des actions de médiation avec tous les usagers et personnels du lycée agricole de Vendôme

Marine Giacomi, graphiste et illustratrice, a été accueillie en résidence au sein du lycée agricole de Vendôme afin de développer un projet artistique dans le prolongement de son travail.

Ce projet s’est inscrit dans le cadre d’une résidence de création accompagnée d’un processus de médiation en direction des usagers de l’établissement en particulier les lycéens et les étudiants. Le thème de la résidence choisi par Melaine Leroux, enseignant d’Education Socioculturelle de l’établissement, était la relation homme / animal.

 

Dessin de Marine Giacomi

Cette interview a été réalisée par ce dernier à la toute fin de la résidence, suite au vernissage et à l’exposition du travail de l’artiste.


Melaine Leroux : Quelle a été ta motivation pour postuler à cette résidence d’artiste au sein du lycée agricole de Vendôme ?

Marine Giacomi : Il y a plusieurs choses. Tout d’abord, la thématique « relation homme / animal » qui m’est chère, elle est omniprésente dans mon travail. Être en immersion au sein d’un lycée agricole où il est dispensé des enseignements divers en lien avec les animaux est un contexte idéal pour répondre à mes questionnements. C’est très inspirant !

 

De plus, en multipliant les résidences, je me suis rendue compte que « les autres » étaient ma « matière à créer ». Vivre et avoir son atelier au sein du lycée donne plus de facilité pour faire du lien avec les élèves, les professeurs et le personnel et instaurer ainsi un rapport de confiance. Ça m’a permis d’avoir différents regards sur cette thématique. Par rapport à ma manière de travailler et par rapport à sa thématique, cette résidence en immersion était une super opportunité !

Plus qu’une opportunité, je pense que pour toi il est important d’aller au contact des gens afin de faire preuve d’ouverture , cela est vraiment bénéfique pour ton travail ...

Je pense que c’est les deux … oui. Cela fait partie de ma démarche. En fait, tous les dessins que j’ai créés lors de cette résidence n’auraient pas existé sans ces rencontres, sans ces échanges, sans le fait qu’on m’invite par exemple à être présente aux Travaux Pratiques à la ferme ou sur le terrain. Cela m’a permis de mieux prendre conscience du regard que les élèves et les professeurs portaient sur les animaux avec ou sur lesquels ils travaillaient, que ce soit un animal de labeur, un animal de laboratoire ou un animal sauvage.

 

 

Dessin de Marine Giacomi

Comme je l’ai dit lors du vernissage, je suis curieuse d’aller vers des choses que je ne connais pas et sur lesquelles je pourrais porter un jugement. Et puis être en contact avec les gens nourrit autant si ce n’est plus mon travail que le fait de juste lire des bouquins, regarder des vidéos, etc.. L’aspect humain est primordial dans mon travail. Je me considère un peu comme une artiste documentariste du genre contemplative. Tout part d’une rencontre.

Les élèves, étudiants et l’ensemble du personnel du lycée t’ont permis de découvrir le côté humain de cette expérience mais comment le côté animal s’est-il révélé à toi, ici sur le territoire du lycée ?

Alors déjà, il y a des animaux présents sur le lycée ! Des vaches, des cochons, des chiens, des rats, des souris, sans parler de toute la faune sauvage à observer.

 

Au tout début de la résidence, je voulais comprendre comment fonctionnait la ferme et je suis partie seule sur l’exploitation. La première chose que j’ai vue et qui m’a marqué, mis à part les vaches dans les stabulations et dans les prés, c’est que l’une d’entre elles était à terre. Je me suis demandée pourquoi elle ne se relevait pas, pourquoi elle ne partait pas puisque rien n’avait l’air de la retenir et ce qui lui était arrivée…

 

Ensuite, j’ai rencontré Francis, un employé de l’exploitation. On a discuté (concrètement voilà le côté humain du travail), il m’a expliqué l’histoire de cette vache qui était tombée d’une stabulation, qui ne pouvait pas se relever et qui, par la suite, si elle ne cicatrisait pas, partirait à la réforme. Autre réalité. C’est aussi ça la découverte du  quotidien des animaux…

 

Après, on m’a demandé pourquoi je préférais dessiner cette vache plutôt qu’une autre. Sûrement une question posée par peur d’être jugé, de mal faire, par rapport à l’éthique et au bien-être animal, ou peut être pour d’autres raisons…

Si tu leur donnes un nom, tu leur donnes une identité et tu crées de la proximité. Leur donner un nom, c’est s’attacher.

Comme lesquelles ?

Comme concernant les élèves militants L214 qui sont très stricts en ce qui concerne le respect du bien être animal et qui n’hésitent pas à intervenir ou se manifester en cas de non respect… Il y en a dans ce lycée, leur position par rapport aux conditions de vie des animaux dans les exploitations agricoles est très claire…

 

Cette histoire a donc été pour moi un déclencheur d’une première piste de réflexion autour de la question de l’éthique animale. Je me suis dit « Faut que je creuse, faut que j’aille questionner les gens pour comprendre ». J’ai donc fait un tour à l’animalerie. Une élève qui était déjà très curieuse de mon travail m’a fait la visite des lieux. J’y ai découvert des souris, des rats, des chiens et des lapins dédiés à l’expérimentation animale.

 

 

Marine Giacomi dans l’animalerie

Mais aussi beaucoup de rigueur en ce qui concerne les règles et les protocoles à suivre par rapport à la manipulation des animaux et la déontologie à suivre. Une professeure m’a invitée à suivre plein de TP pendant lesquels j’ai pu faire des croquis. Cela m’a permis de comprendre un peu mieux leur travail, leurs motivations et le fonctionnement d’une animalerie même si, je l’avoue, ça n’est pas toujours évident pour moi.

Croquis réalisés lors de TP à l’animalerie

Quand tu as commencé ta résidence, est-ce que tu savais déjà quel allait être le résultat final de ta production artistique ?

Non, pas du tout parce que tout part d’une rencontre ou plutôt de deux rencontres, au pluriel c’est plus juste, c’est l’inconnu et puis tout se construit peu à peu.

 

Bon, après, je savais que j’allais faire du dessin et de la gravure… je n’ai finalement que dessiné et au final, c’est un livre qui est né de cette résidence.

 

C’est-à-dire que cela se construit dans une certaine durée, une certaine évolution ?

Ça se construit au fur et à mesure avec ce qui vient, la manière dont je travaille est très intuitive. Au départ j’ai plein d’outils, je me laisse le maximum de choix. Puis les choses se passent, je fais des choix par rapport à ce que je vis, par rapport aux outils que je veux utiliser, au support.. Dès le début, j’ai commencé à réaliser cette grande frise que je complétais au gré des rencontres. C’était un peu comme mon carnet de bord.

 

 

Puis, petit à petit, les élèves, le personnel et certains professeurs ont franchi la porte de  l’atelier que je laissais entr’ouverte. Cet espace s’est alors transformé en atelier/zone de confidences. Tous ces témoignages récoltés inspiraient mes dessins. Les conversations étaient très riches, les regards se faisaient écho, se complétaient, ou pas. Je passais d’un entretien avec un chasseur radical au militant L214. À la fin, je me suis dit que j’allais faire une sélection de tous ces échanges et les rassembler dans un livre. Mais au début, je ne pensais pas du tout que j’allais faire ça !

Est-ce que tu as rencontré un élément déclencheur afin d’arriver à cet objet-là ?

Je pense que c’est vraiment la masse des témoignages que j’ai accumulée. Et, vu que j’ai travaillé en Édition jeunesse, j’ai aussi une certaine attirance pour cette forme. Je me suis dit aussi que ce serait chouette que le lycée puisse garder une trace de ce passage, de cette expérience commune. Le livre, c’est aussi un objet qui raconte des histoires, un objet intime comme l’a été d’une certaine façon cette résidence avec ces nombreux entretiens dans l’atelier.

Le résultat fait l’objet d’un livre mais tu as aussi créé un lieu d’exposition avec l’organisation d’un vernissage plus une présentation de ton travail pendant une semaine …

Cela a été mis en place avec toi d’ailleurs et je t’en remercie. C’était une super idée. Bon, il fallait garder ce moment vernissage « petits fours plus mondains » bien sûr, j’avais un devoir de restitution quand même !

 

C’est aussi un moment de clôture convivial pendant lequel les gens voient le travail qui a été réalisé durant ces 3 mois. Ce qui est fou, c’est que certains, à vrai dire peu, n’ont découvert mon travail qu’à la fin en se disant : « mince, j’aurais aimé aussi participer ». Bon, c’est déjà ça de gagné, j’espère qu’ils seront plus curieux aux prochaines résidences. Enfin, pour moi, c’est le moment de présenter au mieux mes créations tout en rendant hommage à celle et ceux qui ont participé.

Et le fait d’avoir ouvert ce lieu pendant une semaine notamment aux classes du lycée et de l’EPL ?

Je dirais que ce second temps est, pour moi, presque plus important. C’est le meilleur moyen de clore ces échanges et d’en parler en plus petit comité, classe par classe.

 

Parce qu’il y a des élèves qui ont vu toute l’évolution de mon travail pendant la résidence sans savoir la forme que cela allait prendre. Et certains étaient présents vraiment du début jusqu’à la fin. Ils ont pu découvrir aussi le regard des autres élèves.

 

Par exemple, grâce à cette semaine de restitution, des BTS Gestion et protection de la nature que je n’avais malheureusement pas beaucoup croisés m’ont finalement rendu visite. Ils ont lu, ils ont trouvé cela chouette. Nous avons pu débattre sur certains sujets houleux. J’en suis très contente.

Et ils m’ont dit : « mince, on aurait dû participer car on savait que tu étais au lycée ».

 

 

Une classe de collégiens du lycée agricole de Montoire-sur-Loir est également venue. Ça, c’était super ! Notre échange m’a permis de leur parler de mon parcours scolaire, de leur dire que j’avais fait un Bac Scientifique Option « sciences et vie de la terre » et qu’en l’occurrence, il n’y a pas une voie toute tracée. On peut être illustratrice en ayant fait un Bac S ! Plein d’élèves intéressés notamment par la technique, m’ont demandé des conseils et en ont profité pour me montrer leurs dessins. D’ailleurs, le personnel du lycée aussi !

En trois mots, tu retiens quoi de la résidence ?

Euhhhhhhhh … (longue hésitation)

Ça fait un !

En trois mots… Le premier serait richesse, le deuxième rencontre. (Temps de réflexion) J’en ai un autre mais il est moche. C’est pas grave. Pour moi, ce serait nourriture artistique. Oui, je dirais ça, ou peut-être matière à …

Tu veux dire transmission ?

Non, je ne dirai pas transmission pour le coup. Plus quelque chose en lien avec la notion de partage. Oh, il y en a tellement de mots, c’est difficile !

Alors, disons en deux mots ça sera parfait (Rires). Gardons richesse et rencontre.

Et richesse artistique !

Tu as des projets à venir ?

En lien direct avec la résidence, j’aimerais beaucoup faire éditer le livre. Et là, oui, on peut parler de transmission d’ailleurs.

 

Ce travail va aussi être montré sous forme d’exposition. Je pars ensuite dans les Hauts de France faire une autre résidence, une résidence-mission cette fois-ci, et il y a un volet  diffusion. Donc c’est sûr que je présenterai ce travail-là. Je ne sais pas encore où mais ce sera montré.

 

D’ailleurs, je trouve que c’est très important d’échanger autour de cette thématique de résidence (relation Homme / Animal), notamment par rapport aux problématiques actuelles de la société. Le livre peut être justement un support à discussion. Je crois vraiment que ça peut nous être bénéfique.

Tu as eu des retours au sein du lycée ?

Oui, j’ai eu beaucoup de demandes au niveau du lycée, par rapport à la possibilité d’acheter un exemplaire du livre, mais pas que. Des personnes trouvent dommage que cela ne rayonne pas au niveau de tous les lycées agricoles. Il y a aussi une personne extérieure à Vendôme et à mon réseau artistique qui, par les réseaux sociaux, m’a incitée à présenter mon travail sur le site de l’aventure du vivant du Ministère de l’agriculture, à voir..

Et en termes de nouvelles créations personnelles ?

J’ai déjà effectué des résidences mission mais ici c’était ma première résidence de création. J’ai très envie d’en faire d’autres, si possible avec cette même thématique : le rapport Homme / Animal. Je pars à Boulogne-sur-Mer pour ma prochaine résidence où se trouve le plus grand port de pêche industrielle de France. Je vais donc sûrement en profiter pour essayer d’aller au-delà des préjugés, de comprendre… ou pas.

 


En savoir +

Site de Marine Giacomi : https://www.marinegiacomi.com/

Ci-dessous, un extrait de Nous, les animaux à consulter en ligne : https://fr.calameo.com/read/00626128425e5095d7b09

 

Enfin, il est possible de commander un exemplaire du livre en envoyant un mail à l’artiste directement à l’adresse suivante : giacomimarine@gmail.com

 

 

Partenaires et soutiens financiers

La Direction régionale des affaires culturelles (DRAC)

La direction de la culture de la région Centre val de loire

Le réseau régional d’action culturelle de l’enseignement agricole « Centr’acteurs »

La Direction régionale de l’agriculture de l’alimentation et de la Forêt (DRAAF)

Le lycée agricole de Vendôme

 

 

+ d’infos

Melaine Leroux, enseignant en Education Socioculturelle, lycée agricole de Vendôme

melaine.leroux@educagri.fr