Une brèche dans notre monde… c’est comme un mur qui parle

Le Fourneau (centre national des arts de la rue et de l’espace public) de Brest, et le lycée agricole de Caulnes co-construisent des projets d’éducation artistique et culturelle, avec le souhait d’inviter les élèves et personnels du lycée à poser un regard sensible et poétique sur les espaces traversés quotidiennement.

La présence d’un artiste au sein de l’établissement permet de faire « un pas de côté », de sentir/goûter un lieu, d’entrer en rupture avec ses représentations, ses vérités, ses croyances, ce qui nous semble fondamental pour préparer les élèves à entrer dans leur vie d’adulte, à entrer dans les transitions.

La compagnie AlixM, « à la recherche de jolis abcès sociétaux à éclater », articule un travail de performances théâtrales où la frontière entre réalité et fiction est très mince.

Pour ce projet intitulé Brèches, ou faute de révolution nous appuierons sur la ville, Alix Montheil propose de réunir un groupe de citoyens sur l’espace public pour une expérience théâtrale autour du déclin de l’humanité.

Avec l’espoir, au bout de compte, de rester debout, de redresser l’humain profond qui sommeille en chacun de nous.

« Parce que dans un monde où la réussite, le triomphe, la performance à tout prix sont plus que loués… ASSUMONS le médiocre, le ratage de nos avancées, le sale, le vieillissant, le grabataire, le malheureux, le secret, le sauvage, la folie, le dépressif, le volcan, le gouffre, une fin choisie.  » Alix M

Une classe complice, la 2nde Générale et Technologique du lycée agricole de Caulnes  – dans le cadre de l’enseignement Écologie Agronomie Territoire Développement Durable – est étroitement associée au projet de création lors de temps d’ateliers de pratique, de résidence en milieu scolaire et de restitution publique.

La compagnie Alix M. s’est donc installée en résidence au lycée agricole de Caulnes du lundi 2 février 2021 au jeudi 11 février 2021.

Avec un mur de sons, installé au foyer des élèves, les membres de la compagnie proposent des ateliers de pratiques artistiques aux élèves autour de leur projet artistique.

Mercredi 3 Février 2021. Il est 8H30. Trois classes pénètrent dans le foyer. Les élèves sont appelés par un son étrange qui fait vibrer les vitres. En face d’eux, ils-elles découvrent un mur de sons – l’ambiance chargée par les fumigènes évoque des sentiments mitigés entre excitation et étrangeté.

Un personnage communique avec le mur qui lui répond.

La discussion a pour but de poser l’objet des ateliers et de la résidence. « Nous sommes une compagnie de théâtre de rue, nous sommes ici pendant 15 jours. (…) Nous nous intéressons à ce qui entrave les libertés dans la société et nous souhaitons partager ce travail avec vous. » témoigne Alix Montheil.

Cette première rencontre avec le projet de la compagnie a pour objectif de provoquer les esprits et d’indiquer l’objet du travail à venir : Au pied du mur quelque chose nous parle.

Dans un second temps, chaque élève est invité à écrire anonymement ce que lui dit le mur. « Le mur que je vois c’est la honte et le regard des autres. »

C’est un point de départ. COVID,  peur des autres, de soi, les imaginaires sont forts et cette matière est utilisée par l’équipe artistique pour proposer une écriture théâtrale devant le mur de sons.

Les mots s’écrivent en slogan sur des pancartes et les élèves sont invités à faire des essais de mise en voix et en corps.

Pendant deux jours les élèves sont confrontés au jeu, aux imaginaires, au public. Chaque journée est structurée par un rendez-vous devant d’autres lycéens.

Les corps résistent, se tendent puis se relâchent, les regards s’égarent, se cherchent puis se précisent et s’intensifient. Les élèves sont invités à accepter de triturer les idées et à leur donner vie par le jeu.

Centration, intentionnalité – les artistes et l’enseignant Erwan Bariou guident leur progression. Au fil des séances les élèves comprennent le jeu de la dramaturgie et des symboles, et proposent à leur tour des idées de mise en scène.

Ils et elles dansent, crient, les corps expérimentent le mur et ses imaginaires, la rencontre artistique se gagne, entre action et temps de réflexion collective – « ça vibre, par le mur et dans les corps  ».

Pendant ce temps, dans le bâtiment principal, la présence artistique de « brèches » délie les langues, les curiosités – « un mur de son pendant la crise sanitaire au lycée c’est étrange » – quelques parents appellent le directeur pour comprendre ce qu’il se passe.

Un groupe de reporters part à la rencontre des adultes pour les interroger sur le projet. Pour les adultes interrogés, la présence artistique crée de la valeur culturelle et permet de montrer un processus de création, chose forte dans le contexte sanitaire.

« Cela vous permet d’expérimenter l’engagement et la prise de parole – vous apprenez ici à construire une pensée complexe et c’est un peu comme un travail sur la citoyenneté »  nous dit Morgane Personnic la directrice adjointe.

Pour Mhamed Faouri, directeur de l’établissement, le mur cela peut être la fin mais aussi un renouveau. Il interroge les élèves sur une vision positive de la présence de limites, pour les dépasser, s’en affranchir, les sublimer.

Quelques jours plus tard les élèves se retrouvent avec leur professeur d’éducation socio-culturelle pour réaliser un bilan à froid de ce travail.

Jérémy veut retenir de cette action une prise de conscience concrète, un ressenti de la présence de murs dans nos vies que nous pouvons dépasser. « Je savais cela –dit-il – mais là, tout d’un coup, c’est devenu palpable ».

Pour Loane ce travail a abouti à plus de tolérance envers les autres. « Moi qui suis sensible aux transitions écologiques, je me suis dit que nous pouvions avancer autrement dans la société, par l’art par exemple. » – « c’est un travail sur les préjugés ».

Maëllane veut retenir une forme de libération personnelle : « avec les pancartes et nos mots j’avais l’impression de vivre ma première manifestation, je me suis sentie bien et soulagée – c’est la première fois que j’ose manifester quelque chose ! ».

Engagements, enthousiasme collectif reviennent également dans les compte rendus.

De la même façon qu’il y a une autre façon d’apprendre – la preuve – il y a une autre façon de communiquer l’écologie, se demandent les élèves qui ont suivi les cours d’EATDD.

Nous sommes passés par des couleurs émotionnelles très nombreuses stress – joie – colère – nervosité – excitation – calme – cela nous apprend à canaliser le trop plein émotionnel, c’est bon.

Les élèves sont aussi revenus sur la fonction des artistes dans le quotidien du lycée.

« Ils apportent de la fraîcheur, un élan de nouveauté. Finalement, leur rôle c’est de stimuler nos imaginaires en nous perturbant. S’ils ne nous secouaient pas nous laisserions sans doute construire des centaines de murs. »

Propos recueillis et reportages réalisés par Maëllane, Loane et Jérémy, élèves en seconde GT et Erwan Bariou, enseignant d’éducation socioculturelle au lycée de Caulnes.

En savoir +
Le Fourneau : https://www.lefourneau.com/
Compagnie AlixM : https://ciealixm.com/

Partenaires et soutiens financiers
Avec le soutien du Fourneau et de la DRAC Bretagne.

+ d’infos
Erwan Bariou, enseignant d’Education Socioculturelle, lycée agricole de Caulnes, erwan.bariou@educagri.fr